Ma grenouille était sortie de son bocal et je profitais un peu du soleil de printemps sur le pont de ma goélette. Les sirènes étaient de sortie et je faisais un peu de rangement dans mon carnet d’amours de tous les temps.
Rita avait glissé au classement général au point d’être détrônée de mon plus bel amour. D’ailleurs la place était vacante et je songeais à qui allait faire battre mon cœur pour l’éternité, du moins jusqu’à la semaine prochaine. Madeleine avait disparu de la circulation, emportant avec elle le goût du henné et de sa bouche douce et magique. Je jetais par-dessus bord, les tièdes, les incertaines et les amours non partagées. Et une brise légère frôlant le duvet de mes bras me rappela au bon souvenir de mon amie Katia, qui avait pour avantage d’être sortie de mon imaginaire et qui faisait à peu près ce que je voulais. Enfin, je crois…
Je rayais aussi les amours enfantines et les rencontres du samedi soir, l’enfance comme le rhum ayant la fâcheuse tendance à embellir le moindre canasson. Ayant fait place nette et jeté à la mer les débris de mon cœur avec les amours mortes, je pouvais enfin contempler le square verdoyant de mes sentiments de pirate accompli.
Imaginant l’amour fou tant désiré, je lui prêtais une animalité sans pareille. Nos corps seraient des festins l’un pour l’autre, et l’explosion de nos appétits n’en n’aurait que plus de goût. Les poils de nos atours secrets seraient comme des barbes à papa et les tabous de nos ancêtres oubliés jusqu’à la fin de nous.
Nos cœurs palpiteraient à chacune de nos pensées de l’autre, électriques comme des trains en gare au moment du départ. Nos sens capteraient nos présences et nos noms à la moindre évocation, et des liens télépathiques uniraient nos âmes en des orgasmes immenses.
Nous écririons des mots aux feux de tous les temps et dessinerions nos mondes imaginaires. Nos créations feraient le tour du monde, conduisant un peu partout nos élans et nos faims.
Je relevais mon tricorne et notais un prénom en haut de mon carnet, pendant que la brise caressait encore mon duvet de marin, sous le soleil couchant…
Jack Rackham
Je mange mes haricots sur le pont désert de mon après-midi, bon appétit !